SE RÉSOUDRE DANS LE VIDE

(2021)

Conception et chorégraphie : Marika Rizzi

Recherche et interprétation : Magali Albespy et Marika Rizzi

Accompagnement vocale et composition : Martin Moulin

Chant : Renaud Mascret

Lumières : Geoffrey Sorgius

Comme la plupart des mes projets ce duo est né d’une curiosité et d’un désir de pousser plus loin quelque chose qui était déjà là. Avec Magali on se rencontrait le plus souvent dans des contextes de pratique du contact improvisation, soit dans des jams soit dans des moments de recherche. J’aimais la retrouver dans ces cadres particuliers parce que c’était rare d’y croiser des danseuses et danseurs professionnels, interprètes comme moi en danse contemporaine. Danser en duo avec Magali c’était toujours rafraîchissant, décalé, très spécifique. Son extrême disponibilité corporelle et sa dextérité au niveau de l’imaginaire amenait la danse dans des solutions ingénieuses et drôlement inattendues. Cela me surprenait immanquablement et m’amusait beaucoup. Son sérieux et l’attention qu’elle accordait aux détails rejoignait mes intérêts. Voilà comme Se résoudre dans le vide a commencé. Nous avons établi une pratique autour de la notion de « support », chère au contact improvisation, dans le but de donner une forme spectaculaire à des directions que nous trouvions intéressantes à partager, en évitant soigneusement de ne pas tomber dans une démonstration du CI, Magali a horreur de ça et moi aussi. Le travail autour des marges est arrivé par la suite et grâce à une résidence au théâtre du Marché aux Grains de Bouxwiller, un lieu que j’affectionne pour maintes raisons dont la première ce sont les personnes qui le font vivre. C’est là que le projet a trouvé son esthétique et son sens, tel que nous le pensons aujourd’hui.

DESCRIPTIF

«  … il ne s’agit que d’une variation de clarté qui tient à peine à un infléchissement de la perception selon l’humeur de chacun ». Louange de l’Ombre, Tanizaki Jun’ichirô

Se résoudre dans le vide est une pièce qui évolue aux bords de l’espace, elle en visite la périphérie, elle joue avec l’épaisseur de ses extrémités. Éclairés par défaut, par les reflets d’un centre très lumineux, les abords de la scène restent dans la pénombre accueillant le geste à l’intérieur de variations d’intensité lumineuse. La danse se déploie entre l’obscurité des limites de l’espace et les seuils du rayonnement qui vient du centre.
Se résoudre dans le vide interroge la notion de «marges» au sens élargi. Spatialement en opposition à un centre, claire et omniprésent mais qui ne sera pas occupé. L’attention se tourne vers les zones de l’espace qui sont peu éclairées et peu accessibles pour le regard, les marges deviennent ici les lieux de l’action où un certain état de présence peut trouver expression.
Entre apparition et disparition, le geste est dosé en relation à la lumière qu’il reçoit. La danse se laisse ainsi entrevoir et découvrir par bribes, parfois elle se donne entièrement à lire, parfois elle se laisse juste appréhender.
Deux corps, deux femmes, avancent séparément à la lisière du centre, elles le contournent en jouant avec les profondeurs offertes par le claire-obscur. À l’image de deux électrons, elles ressent autant la présence d’un noyau qu’elles en écartent l’effet d’attirance. Elles mesurent également la distance qui les séparent l’une de l’autre pour enfin y céder et faire corps commun. Se soutenir ensuite dans un jeu d’alternance et devenir support de l’avancée de l’autre; les corps se confondent alors, et laissent surgir des formes indistinctes, peu réelles, en déplacement et en apesanteur.
Donner à voir une image partielle ne correspond pas, ici, à un mouvement de retrait. Le désir est de créer les conditions pour que quelque chose d’autre puisse émerger dans le regard du spectateur. Réduire, doser l’information pour, là aussi, générer des marges de projection dans l’imaginaire de celui et celle qui regarde.
Se résoudre dans le vide s’intéresse à ces divers mouvements de dérive : du regard, du geste, des attentes, poussant l’attention là où elle a moins l’habitude de se rendre. La pièce met en exergue le désir de décentrer, de dé-hiérarchiser, de déplacer, de décaler, en créant des sas de suspension dans lesquels une série de repères habituels puissent être modifiés.
Le spectateur est invité à une sorte d’immersion contemplative où les perceptions trouvent appui sur des références contre-intuitives : un centre éclairé mais vide de présence, une activité qui se déroule dans la pénombre, une composition gestuelle peu linéaire, une temporalité irrégulière. Ainsi, bien que la pièce aie une identité esthétique précise et que son évolution rende explicite les choix et les parti pris, la matière qui se joue se laisse appréhender moins facilement, cela dans l’intention de solliciter l’imaginaire de chacun.e.
La performance de deux interprètes investit également une forme de non-savoir. Par moments elles chuchotent et chantent dans un langage inventé. Leur geste et leur présence se laissent imprégner par la paire «sensation-imaginaire» dans la tentative d’échapper à la production du sens. Le souhait est d’esquiver toute reconnaissance des habitus gestuels pour inventer des nouveaux chemins et élargir les marges de représentation de ce qui fait danse.
Le public est installé sur la scène dans une configuration en «L» asymétrique afin de favoriser davantage l’état d’immersion et crée une situation de proximité.

NOTE D'INTENTION
Avec Se résoudre dans le vide je poursuis une recherche gestuelle et performative  qui puise son inspiration de deux sources : l’une est la rencontre avec la pratique de Deborah Hay dont l’invitation à faire de sa propre danse un mystère pour soi-même me guide dans une direction de constante invention et questionnement.

L’autre axe de ma pratique m’a été offert par l’exercice d’écriture pour l’obtention du Master 2 au département de danse de l’université Paris 8. L’effort d’explicitation de mon expérience dansée, qui a représenté une grande partie du travail de recherche, a apporté une forme d’oralité à ma danse. Depuis j’interroge la nature du lien entre mon geste et un aspect discursif de mon imaginaire. Il s’agit pour moi d’élargir cette quête en l’intégrant à un cadre esthétique et performatif, de partager une pratique personnelle et la confronter aux enjeux de la représentation. Identifier des méthodes «partitionnelles» qui permettent de chorégraphier l’imaginaire et de stabiliser la composition gestuelle sans la figer en des formes définitives. Proche de certains courants et façons de faire qui associent le geste dansé à des pratiques de l’attention, ce travail souhaite s’adresser au vivant et faire du présent un facteur participant à la composition chorégraphique.

Le travail engage une réflexion en direction d’une forme de dépouillement, de simplification des éléments scéniques, tout en complexifiant d’autres principes structurels liés au geste et à l’inventivité. Il m’intéresse de donner à voir le processus qui conduit au déploiement du geste et de la composition. En ce sens Se résoudre dans le vide devient une expérience partagée. Elle dévoile l’état d’éveil qui anime et qui lie les deux interprètes dans la conviction que cette écoute particulière joue une influence aussi sur l’état d’attention du spectateur. «  Performer  » le processus informe le public de la rigueur imposée par l’activité complexe de deux corporéités occupées à tisser un dialogue en temps réel.

UN MOT AUTOUR DU TITRE

Quand prendre soin de l’autre se résout dans le vide.

Cette phrase de Carrie Noland* avait été un déclencheur. Sa dimension abstraite avait donné l’élan nécessaire au désir, déjà présent, d’interroger les principes de support et d’échange du poids propres au contact-improvisation afin de leur trouver une forme dans le champ de la représentation. L’idée de soutien réciproque entre deux corporéités féminines me semblait pouvoir autant dévoiler le potentiel et la contrainte physique de ce geste que mettre en lumière sa portée symbolique.

Il s’agissait d’entrevoir dans le vide l’espace accueillant la chute, d’entendre par vide le lieu du possible où multiples déclinaisons du devenir peuvent s’épanouir, d’assumer le vide en tant que posture du non-savoir tout en projetant dans ce vide le puissance d’un nouvel savoir.

Au moment où j’écris la notion de vide investit une dimension paradoxalement plus concrète. L’inconnu que le vide représente devient un ingrédient du réel avec lequel il est désormais inéluctable de composer. La projection dont il était question a été aplatie créant un face à face vertigineux. Si l’abstraction de la formule de Carrie Noland avait procuré de la fascination et un désir de création, elle fournit actuellement un terrain d’exploration étrangement palpable. Se laisser absorber par le vide, l’arpenter comme matière génératrice de mouvement et d’imaginaire, le laisser agir, s’y résoudre enfin, devient un geste presque familier.

DATES

11 Septembre 2021 | Festival KUCKUCK – Théâtre du Marché aux Grains, Bouxwiller

25 et 26 Novembre 2021 | Festival Signes d’Automne – Le Regard du Cygne, Paris

Courant 2022 | Les Moulins de Paillard, Poncé sur le Loir

 
 

 

Production 

Les Moulins de Paillard, Poncé sur le Loir

Coproduction

ass. SPONTé

Avec le soutien

de l’État – Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Pays de la Loire

du Théâtre du Marché aux Grains, Atelier de Fabrique Artistique, Bouxwiller

de Le Regard du Cygne, Paris 

du CN D Centre national de la danse, dans le cadre de la mise à disposition des studios

de la Ménagerie de Verre dans le cadre du Studiolab

de L’atelier de Paris / Centre de développement chorégraphique national (CDCN), dans le cadre de prêt de studios